vendredi 20 février 2009

PLUS DADA QUE DADA TU MEURS!




Dans l’Internationale Situationniste, n°6, Paris, Arthème Fayard, 1997 (p.210), il est affirmé, au sujet des auteurs des pratiques formelles du début des années 1960, qu’ils « ont un air de découvrir la destruction de l’art. (…) Tous retuent des cadavres qu’ils déterrent, dans un no man’s land culturel dont ils n’imaginaient pas l’au-delà. Ils n’en sont pas moins très exactement les artistes d’aujourd’hui, quoique sans savoir comment. Ils expriment justement notre temps de vieilleries solennellement proclamées neuves ; ce temps d’incohérence planifiée ; d’isolement et de surdité assurés par les moyens de communication de masse, d’enseignement universitaire de formes supérieures d’analphabétisme ; de mensonge garanti scientifiquement ; et de pouvoir technique décisif à la disposition de la débilité dirigeante. »

Ces lignes, tant elles sont justes, pourraient être signées par les lettristes qui proposent le surpassement de cet état par des apports déterminés. Si, du fait de son adhésion première aux conceptions artistiques et économiques de ce mouvement, l’auteur de cette déclaration peut voir, en dehors de cette adhésion il ne voit plus, il ne se voit pas dans son prétendu et pseudo dépassement dont les effets — détournements et dérives — reviennent au dada généralisé des années 1916-1920, auquel il substitue au mode poilant et persifleur de Tzara un mode terrorisant, gueulard et sur dramatisé.
Alors que les "situations”, depuis longtemps chassées de la plupart des dimensions formelles, sont à présent, par Isidore Isou avec son apport du discrépant et du ciselant, exclues du théâtre et du cinéma où elles demeuraient encore, les situationnistes, au nom du rejet de ces mêmes dimensions formelles, ne trouvent rien de mieux que de proposer de les remplacer par des “situations”.
Le situationnisme est au lettrisme ce que les dragons sont aux ornithorynques ou aux diplodocus. En dehors de son activisme pseudo philosophique — qui n’est, de l’aveu même de son initiateur, que “stratégie” — il n’a pas d’existence réelle et son existence supposée ne se fonde que sur la crédulité et l’ignorance de la “débilité dirigeante”, des médias, de l’enseignement, et, par suite, de nos contemporains.

(Extrait du texte de Roland Sabatier, Le Lettrisme : vue d’ensemble sur quelques dépassements précis, en partie publié dans «Figures de la négation. Avant-gardes du dépassement de l’art», conjointement publié par les Ed Paris Musées, Art-of-Century, Musée d’Art Moderne Saint-Etienne Métropole et LimitesLtd. Editions, Paris, 2004.)

mardi 17 février 2009

HURLEMENT EN FAVEUR D'UN TRESOR NATIONAL AUTHENTIQUE


(Article paru dans le blog "Les Cahiers d'Externité")

CONSECRATION DU VIDE
Les dernières nouvelles de la société du spectacle ne manquent pas de piquant : Guy-ernest Debord accède à la consécration ultime, la reconnaissance par l'Etat Français de son importance "historique" dans l'histoire de la pensée "nationale" (non, non ce n'est pas une private joke !) ; citons donc le commentaire édifiant qui accompagne cet évènement officialisé par les plus hautes sphères ministérielles et qui témoigne combien le mot même de "culture" est devenu aujourd'hui le faire-valoir de la plus grande bêtise :
" C’est une reconnaissance de l’œuvre de Guy Debord, qui est ainsi accepté comme l’un des penseurs contemporains les plus importants de la seconde moitié du XXe siècle. Ce classement comme trésor national peut être vu comme une décision autoritaire, mais c’est surtout une reconnaissance. L’Etat accueille désormais l’enfant terrible et lui fait une place dans le saint des saints." (in Libération du 16/02, entretien avec Benoît Forgeot).
Citons aussi un grand maître en pataphysique, Benoit Racine, Président de la BNF :
"Ce classement comme trésor national s’interprète comme une reconnaissance par l’Etat de ce que représente Debord dans la vie intellectuelle et artistique du siècle écoulé» (in Libération du 16/02)
Bref, nul doute que d'autres viendront à la suite de ces baves d'adorateurs coller ou leur assentiment passionné et enthousiaste de groupie ou leur ressentiment mêlé d'envie et de détestation pour le "pet" qu'a représenté Guy Ernest dans l'histoire de la pensée, estimant que d'autres sans doute auraient davantage mérité cette place. Le seul point qui ici pose problème est de voir ainsi consacré un illusionniste, vague compilateur de Marx (que personne ne lit plus tout en s'en réclamant) pour des générations à ce point devenues incultes qu'elles prennent le réflet vacillant de leur jeunesse révolue pour l'accomplissement ultime de la création intellectuelle ! Je reste pour ma part un grand lecteur de Marx, je lis en ce moment l'édition pléiade des oeuvres de Levi-strauss (en y attendant les œuvres complètes d'Isou!), et je reste, sans titre ronronnant, ni statut universitaire d'aucune sorte, amoureux des aventures intellectuelles, et je ne vois rien dans l'itinéraire de Guy Ernest ou dans ses œuvres qui puissent se hisser à la hauteur de ces deux noms, pour ne prendre que ces deux noms là. Les vieilleries romantiques, raillées par Rimbaud ont décidément la vie longue et dans cette contribution à l'ignorance l'Etat vient d'apporter sa plus notable contribution. L'avant-garde a enfin trouvé sa Françoise Sagan ! 

En complément à cette réplique publiée dans les Cahiers de l’Externité, le 17 février 2009, au sujet du classement au titre de Trésor national des archives de l’auteur des inepties situationnistes (sic), nous proposons à Bruno Racine, au Ministre de la Culture et à la communauté intellectuelle mondiale, en attendant de prendre connaissance de l’ouvrage d’Isidore Isou « Contre l’Internationale Situationniste », (Ed Hors Commerce, Paris, 2000), de méditer sur quelques réflexions extraites de cet ouvrage (p 148).

"Ainsi, dans les domaines esthétiques, comme les javarristes, les situationnistes miment souvent l’attitude d’Isou et clament que la création est l'action la plus importante au monde, mais lorsqu’il s’agit d’inventer ou de découvrir, ils ne savent que revenir en arrière, à une conception de mise-en-scène basée sur l’anecdote romantique ou à une imitation banale d’un passé plus proche, étrangère en réalité à leur propre doctrine. Devant les novations isouënnes ciselantes, pratiquées dans certains arts et devant des arts neufs lettristes, hypergraphiques et infinitésimaux – avec leurs secteurs ampliques et ciselants – le « détournement », l’extrême limite de la position extra-situationniste, ne représente qu’une pénible réaction sous-sous-dadaïste et sous-« englobante », c’est-à-dire un style que mes adversaires d’aujourd’hui attaquaient avec plus d’intelligence à l’époque où ils suivaient mes idées."

Pour le Mouvement Lettriste, 
Anne-Catherine Caron.