Entretien avec Eric Monsinjon réalisé par Anne-Catherine Caron le 14 mars 2013.
Anne-Catherine Caron : - Tu as assisté, lundi 11
mars, à la séance de cinéma lettriste où étaient programmés des films d'Isou, de
Lemaître et de Sabatier, au Centre Pompidou dans le cadre du Nouveau Festival
dirigé par Bernard Blistène. En quelques mots, quelles sont tes impressions?
Eric Monsinjon : - Dans un premier
temps, je crois que c'est la première fois qu'un musée national comme le Centre
Pompidou consacre une séance au cinéma hypergraphique, le "cinéma des
signes". Ensuite, j'étais très enthousiaste à l'idée d'assister à ce
moment rare, c'est-à-dire de voir toute la force de ce cinéma qui reste, pour
moi, aujourd'hui encore, la seule avant-garde.
A.C.C. : - Comment était le public?
E. M. : - Le public était
très mélangé, des jeunes, des plus vieux, des connaisseurs, des curieux tout
simplement. La salle était pleine et ouverte à la découverte.
A.C.C. : - Moi-même, j'ai, souvent, tiré de
nombreux enseignements de la diffusion de films lettristes, qu'en est-il pour
toi ?
E. M. : Oui, parce
qu'ils remettent à chaque fois en cause ce qu'on appelle le cinéma. Notre
conception habituelle s'effondre devant ces films. Par exemple, le montage
discrépant qui dissocie le son de l'image. Certains films renoncent à la
pellicule et à la projection traditionnelle du film. La mutation des formes
d'expression et de leurs supports me fascine littéralement.
A.C.C. : - Est-ce que cette sélection limitée à
trois films hypergraphiques t'a éclairé sur ta compréhension de ce genre de
cinéma?
E. M. : J'ai trouvé
l'ordre de projection intéressant. D'abord, "Amos" d'Isidore Isou qui
représente le premier film hypergraphique de l'histoire. Là, on voit le système
hypergraphique se mettre en place, les images fixes rehaussées de signes peints
et un texte lu par des acteurs présents dans la salle. La version que nous
avons vue est en fait un enregistrement de l'événement, mais cela ne nuit pas à
sa compréhension. Le film de Lemaître, quant à lui, développe d'autres aspects
du signe, avec beaucoup d'œuvres visuelles et sonores de l'artiste. Enfin,
celui de Sabatier, révèle une phase d'anéantissement radicale du système
hypergraphique lui-même. Les signes visuels sont remplacés par leur description
orale.
A.C.C. : - Quel est le meilleur souvenir que tu
conserves de cette séance?
E. M. : - Grâce à cette
séance, on a pu assister à la construction d'une forme nouvelle de cinéma, et
également à sa destruction. Passionnant.
A.C.C. : - Cet événement s'est conclu par un long
débat entre Bernard Blistène et Roland Sabatier. Selon toi, quel a été son
intérêt?
E. M. : - Ce débat était
très riche. Bernard Blistène a très bien présenté le lettrisme. Il a
notamment dit à plusieurs reprises combien il avait apprécié le film de
Sabatier. Ce dernier a donné beaucoup d'explications sur son film et aussi sur
le lettrisme en général. Cela permettait à chaque fois de reclasser les choses,
et d'éviter les confusions avec d'autres avant-gardes, comme le dadaïsme par
exemple. C'était un débat très éclairant sur la rigueur intellectuelle
nécessaire pour celui qui veut approcher le lettrisme.
Légende de la photographie : image extraite de la bande visuelle du film de Roland Sabatier, "Evoluons (encore un peu) dans le cinéma et la création" (1972) sur laquelle la bande sonore superpose la description orale des multi-signes hypergraphiques.