« On ne prétend pas que le cinéma soit mort, on affirme simplement qu’un certain cinéma est épuisé ».
« Je demande un nouvel effort de création ou de novation dans les discussions du ciné-club. Le cinéma étant mort, on doit faire, du débat, un chef-d’œuvre. La discussion, appendice du spectacle, doit devenir le vrai drame. On renversera ainsi l’ordre habituel des préséances. L’art de la reproduction reproduira les débats de tous les autres arts. Il faudrait interdire le glouglou nul. Des voix pures et neuves s’ordonneront alors dans la salle, en lançant des phrases sans cesse originales, et sans rapport avec un sujet quelconque. Des hommes résolus feront des gestes jamais vus, heurtant ou émouvant le public. (…) Grâce au débat isouien, les débats explicatifs qui se sont souvent perdus en faveur des films qu’ils commentaient, pourraient se perpétuer en soi et pour soi. (…) J’estime trop ceux qui se taisent dans les discussions des salles, qui réfléchissent et prennent, mentalement des notes, pour ne pas espérer que le débat lui-même, en évoluant, finira par un grand silence ». Isidore Isou, Esthétique du cinéma, 1952.
(…) "Si ces expressions nouvelles restent, avant tout — au même titre que les grandes propositions artistiques passées —, des créations chargées d'augmenter la beauté formelle, elles n'en sont pas pour autant exemptes de préoccupations extra plastiques, culturelles ou vitales. Notamment dans leurs phases respectives de constitution et d'explorations ampliques, leur dimension ouverte à la thématique — le sujet — sera porteuse des valeurs les plus progressistes de la connaissance issues de l'ensemble des branches de la culture et de la vie. Parmi ces valeurs, d’autres apports d'Isou, effectués en des disciplines complémentaires, de la Science, de la Philosophie ou de la Technique, occuperont une place privilégiée. C'est le cas des conceptions de la psychokladologie, des mathématiques hypergraphiques, de l'éthique, de l'érotologie, par exemple, ou, encore, de l'économie nucléaire et du Soulèvement de la Jeunesse, dont les différentes actions réalisées depuis leur parution constituent les bases, à la fois novatrices et pratiques, de situations artistiques nouvelles innombrables.
Naturellement, la présence de telles données ne doit pas porter à penser que ces situations, à partir desquelles se construisent, toujours aujourd’hui, « les belles histoires », puissent être l’objet, la finalité même de l’art de l’écoulement de la reproduction. Sauf à persister à vouloir, comme la chansonnette, se définir à la manière d’un loisir ou d’un simple divertissement, le cinéma ne saurait se réduire à cela et, pour se manifester comme un art à part entière, il devait, comme les autres arts avant lui, réduire progressivement, abandonner, puis finalement rejeter l’anecdote extra-formelle paralysante, pour orienter ses organisations vers des arrangements gratuits, liés à ses seuls composants esthétiques essentiels. De toutes façons, ces « situations » restent toujours plus amplement informées dans le cadre des disciplines théologiques, philosophiques, scientifiques ou techniques du Savoir où l’harmonie cède le pas à l’exactitude, et dont l’écriture cinématographique, comme toutes techniques de transcription et de perpétuation peut rendre compte, seulement par le biais du documentaire, et non plus de l’art.
Cette dialectique entre l’art, le documentaire et le divertissement, déjà en 1952, dans son Esthétique du cinéma, le créateur du discrépant la dénonçait. Sûr de la justesse de ses vues qui portaient l’esthétique filmique au niveau atteint bien avant lui par la poésie, la musique ou l’art plastique, il écrivait comme une provocation à l’adresse du public et de ceux qui n’avaient pas pris la peine dans le passé d’effectuer son super effort que : « Ceux qui considèrent l’art autrement que sous l’aspect d’une forme gratuite sont des pauvres types. L’art n’est pas sérieux, mais le travail de l’artiste qui cherche à atteindre la gratuité est pénible, car l’homme en est encore à se débattre entre l’opium et le médicament. »
Sans doute pensait-il qu’à la suite de son passage, la perception du septième art serait culturellement éclairée, sans imaginer qu’aujourd’hui, soixante ans après, elle ne s’en affirmera que plus confuse encore. Toujours entre l’opium et le médicament, la foule cinéphilique plus nombreuse, guidée et encouragée par de soi-disant « spécialistes », poursuit la dévoration anecdotique, insensible au fait, que dans l’ombre, durant cette longue parenthèse, notamment avec les multiples propositions « lettristes », le cinéma n’a jamais cessé d’évoluer. Pourtant, dans l’avenir, c’est sur les bases de ces dimensions que, pour se construire, le cinéma futur devra s’appuyer.
Déjà, en complément des œuvres, nombre de cinéphiles progressistes partagent l’idée selon laquelle l’agencement théorique neuf des particules de la cinématographie lettriste — précisément ciselante et discrépante, hypergraphique, infinitésimale et excoordiste — s’imposera et vaincra là où les cinématographies concurrentes ont échouées."